L’HOMME. Et si nous organisions un petit contr?le ?
LE DOCTEUR. Faites, donc. Je sais bien cacher mes revenus.
L’HOMME. Et moi, je sais bien les retrouver.
LE DOCTEUR. Cessez de me menacer. Je vous l’ai dit, je ne crains pas les contr?les.
L’HOMME. Parce que vous ne prenez pas de pots-de-vin ?
LE DOCTEUR. Non. Parce que je les donne. Au plaisir de vous revoir.
L’HOMME. (Changeant de ton.) Docteur, vous le savez bien, l’affaire que j’ai en ce moment est strictement personnelle, elle n’a aucun rapport avec la mеdecine, ni avec le fisc. J’ai besoin d’Ir?ne.
LE DOCTEUR. Au revoir. La porte de sortie est ici.
L’HOMME. (S’attardant au moment de sortir.) Docteur, pourquoi, tout de m?me, vient-elle vous voir ? Il y a quelque chose entre vous ?
LE DOCTEUR. Cela ne vous regarde en aucune fa?on.
L’HOMME. Serait-elle malade ?
LE DOCTEUR. Aucun dеtail concernant mes visiteurs, malades ou bien portants, ne franchit les limites de ce cabinet.
L’HOMME. (D’un ton sec, presque mena?ant.) Parfait. Cependant, je sens qu’il y a un lien entre vous et je pense qu’il est de mon devoir de vous prеvenir : soyez prudent.
LE DOCTEUR. Dans quel sens ?
LE DOCTEUR. Dans tous les sens. Elle s’est oubliеe et elle-m?me ne comprend pas ce qu’elle fait. (Il se dirige vers la sortie.) Si, malgrе tout, vous la voyez, dites-lui que j’essaierai de la voir ? la maison, et si je ne l’y trouve pas, que je reviendrai ici.
LE DOCTEUR. Je ne pense pas que je vous laisserai entrer.
L’HOMME. Et moi, je ne pense pas que je vous en demanderai l’autorisation.
L’HOMME part. LE DOCTEUR se rassoit devant son ordinateur. IR?NE revient.
IR?NE. Vous n’en avez toujours pas assez de moi ?
LE DOCTEUR. Le taxi est dеj? l? ?
IR?NE. Je ne l’ai pas appelе… J’ai dеcidе d’emmener Michel dans ma voiture. Elle est l?, tout pr?s, sur le parking. Surveillez-le deux minutes encore, d’accord ? (Apr?s avoir bien regardе le Docteur.) Qu’y a-t-il encore ?
LE DOCTEUR. ? l’instant… Eh bien… Il a de nouveau demandе apr?s vous… Votre mari…
IR?NE. Je vous l’ai dеj? dit, je n’ai aucun mari ! ? part Michel, bien s?r.
LE DOCTEUR. Je ne sais pas, je ne sais pas… Il m’a prеvenu qu’il fallait que je sois prudent avec vous.
IR?NE. Il n’a pas expliquе de quoi il retournait ?
LE DOCTEUR. Non, mais il a dit que c’еtait tr?s important. Une question de vie et de mort.
IR?NE. (Fortement troublеe.) Je crois que je devine de qui il s’agit.
LE DOCTEUR. Il est vraiment votre mari ?
IR?NE. Pas tout ? fait.
LE DOCTEUR. Pas tout ? fait ?
IR?NE. Pas du tout. C’est mon coll?gue de travail… plus exactement, c’est m?me mon supеrieur.
LE DOCTEUR. Vous dites la vеritе ?
IR?NE. Je vous jure.
LE DOCTEUR. Et de quelle affaire importante vous concernant parle-t-il ?
IR?NE. Des b?tises. Simplement, il, comment vous dire… Il y a des gens, voyez-vous, qui… Il est continuellement ? vouloir еlucider quelque chose avec moi, ? vouloir m’entretenir de quelque chose… Et c’est toujours, bien s?r, urgent. Du reste, voil? un patient idеal pour vous.
LE DOCTEUR. Je comprends.
IR?NE. Bon, je vais chercher la voiture.
LE DOCTEUR. (La retenant.) Je n’ai pas envie de vous laisser partir.
IR?NE. (Dеgageant la main avec douceur.) Je reviens vite. Une minute, pas plus.
LE DOCTEUR. Et vous repartirez.
IR?NE. (L’embrassant sur la joue.) Pour notre rendez-vous de ce soir.
IR?NE sort. LE DOCTEUR arbore un sourire heureux. Il s’approche de la glace, s’examine sans concession, redresse la cravate, arrange sa coiffure, sort de l’armoire une autre veste aux couleurs plus vives et la met. Entre JEANNE, plus dеcidеe encore que prеcеdemment. LE DOCTEUR, qui s’еtait prеparе ? accueillir ? bras ouverts sa visiteuse, est dеsagrеablement surpris.
LE DOCTEUR. C’est vous ?
JEANNE. Pourquoi ? Qui attendiez-vous ?
LE DOCTEUR. Une autre femme. La femme de votre mari. Ou plut?t… Je voulais dire, la femme de Michel. Ou plut?t…
JEANNE. La femme de Michel, c’est moi.
LE DOCTEUR. J’ai un gros doute l?-dessus, maintenant.
JEANNE. C’est la premi?re fois que je rencontre un docteur qui, au lieu de s’occuper de soigner, m?ne une enqu?te. La carte mеdicale est-elle pr?te ?
LE DOCTEUR. Non. Et si elle l’еtait, je ne vous la donnerais pas. Qui ?tes-vous, au juste ?
JEANNE. J’avais prеvu que vous chercheriez n’importe quel prеtexte pour vous dеfausser et j’ai prеparе ? cet effet un registre complet de documents en bonne et due forme. (Elle montre un dossier soigneusement constituе.) Voici ma carte d’identitе. Voici le livret de famille prouvant mon mariage avec Michel. Voici les certificats de naissance de nos enfants, dans lesquels, d’ailleurs, sont enregistrеs aussi les noms de leurs parents, autrement dit, le mien et celui de mon mari. Voici la photographie de mariage, voici еgalement une photo du mariage mais avec les invitеs, et voici des photos o? nous sommes avec les enfants. Voici des factures d’еlectricitе ainsi que d’autres paiements ? notre nom. Vous ?tes convaincu maintenant ?