– Parce que je suis amoureux de vous… oh! un peu, rien qu'un peu… et que je ne veux pas le devenir tout ? fait…
Elle ne parut ni еtonnеe, ni choquеe, ni flattеe; elle continuait ? sourire du m?me sourire indiffеrent, et elle rеpondit avec tranquillitе:
– Oh! vous pouvez venir tout de m?me. On n'est jamais amoureux de moi longtemps.
Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda:
– Pourquoi?
– Parce que c'est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m'aviez racontе plus t?t votre crainte je vous aurais rassurе et engagе au contraire ? venir le plus possible.
Il s'еcria, d'un ton pathеtique:
– Avec ?a qu'on peut commander aux sentiments!
Elle se tourna vers lui:
– Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est rayе du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour, ou qui le prеtendent, toute relation intime, parce qu'ils m'ennuient d'abord, et puis parce qu'ils me sont suspects comme un chien enragе qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu'? ce que leur maladie soit passеe. Ne l'oubliez point. Je sais bien que chez vous l'amour n'est autre chose qu'une esp?ce d'appеtit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une esp?ce de… de… de communion des ?mes qui n'entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l'esprit. Mais… regardez-moi bien en face…
Elle ne souriait plus. Elle avait un visage calme et froid, et elle dit en appuyant sur chaque mot:
– Je ne serai jamais, jamais votre ma?tresse, entendez-vous. Il est donc absolument inutile, il serait m?me mauvais pour vous de persister dans ce dеsir… Et maintenant que… l'opеration est faite… voulez-vous que nous soyons amis, bons amis, mais l?, de vrais amis, sans arri?re-pensеe?..
Il avait compris que toute tentative resterait stеrile devant cette sentence sans appel. Il en prit son parti tout de suite, franchement, et, ravi de pouvoir se faire cette alliеe dans l'existence, il lui tendit les deux mains:
– Je suis ? vous, madame, comme il vous plaira.
Elle sentit la sincеritе de la pensеe dans la voix, et elle donna ses mains.
Il les baisa, l'une apr?s l'autre, puis il dit simplement en relevant la t?te:
– Cristi, si j'avais trouvе une femme comme vous, avec quel bonheur je l'aurais еpousеe!
Elle fut touchеe, cette fois, caressеe par cette phrase comme les femmes le sont par les compliments qui trouvent leur cCur, et elle lui jeta un de ces regards rapides et reconnaissants qui nous font leurs esclaves.
Puis, comme il ne trouvait pas de transition pour reprendre la conversation, elle pronon?a, d'une voix douce, en posant un doigt sur son bras:
– Et je vais commencer tout de suite mon mеtier d'amie. Vous ?tes maladroit, mon cher…
Elle hеsita, et demanda:
– Puis-je parler librement?
– Oui.
– Tout ? fait?
– Tout ? fait.
– Eh bien! allez donc voir Mme Walter, qui vous apprеcie beaucoup, et plaisez-lui. Vous trouverez ? placer par l? vos compliments, bien qu'elle soit honn?te, entendez-moi bien, tout ? fait honn?te. Oh! pas d'espoir de… de maraudage non plus de ce c?tе. Vous y pourrez trouver mieux, en vous faisant bien voir. Je sais que vous occupez encore dans le journal une place infеrieure. Mais ne craignez rien, ils re?oivent tous leurs rеdacteurs avec la m?me bienveillance. Allez-y, croyez-moi.
Il dit, en souriant:
– Merci, vous ?tes un ange… un ange gardien.
Puis ils parl?rent de choses et d'autres.
Il resta longtemps, voulant prouver qu'il avait plaisir ? se trouver pr?s d'elle; et, en la quittant, il demanda encore:
– C'est entendu, nous sommes des amis?
– C'est entendu.
Comme il avait senti l'effet de son compliment, tout ? l'heure, il l'appuya, ajoutant:
– Et si vous devenez jamais veuve, je m'inscris.
Puis il se sauva bien vite pour ne point lui laisser le loisir de se f?cher.
Une visite ? Mme Walter g?nait un peu Duroy, car il n'avait point еtе autorisе ? se prеsenter chez elle, et il ne voulait pas commettre de maladresse. Le patron lui tеmoignait de la bienveillance, apprеciait ses services, l'employait de prеfеrence aux besognes difficiles; pourquoi ne profiterait-il pas de cette faveur pour pеnеtrer dans la maison?
Un jour donc, s'еtant levе de bonne heure, il se rendit aux halles au moment des ventes, et il se procura, moyennant une dizaine de francs, une vingtaine d'admirables poires. Les ayant ficelеes avec soin dans une bourriche pour faire croire qu'elles venaient de loin, il les porta chez le concierge de la patronne avec sa carte o? il avait еcrit:
Georges Duroy
Prie humblement Mme Walter d'accepter ces quelques fruits qu'il a re?us ce matin de Normandie.
Il trouva le lendemain dans sa bo?te aux lettres, au journal, une enveloppe contenant, en retour, la carte de Mme Walter» qui remerciait bien vivement M. Georges Duroy, et restait chez elle tous les samedis».
Le samedi suivant il se prеsenta.
M. Walter habitait, boulevard Malesherbes, une maison double lui appartenant, et dont une partie еtait louеe, procеdе еconomique de gens pratiques. Un seul concierge, g?tе entre les deux portes coch?res, tirait le cordon pour le propriеtaire, et pour le locataire, et donnait ? chacune des entrеes un grand air d'h?tel riche et comme il faut par sa belle tenue de suisse d'еglise, ses gros mollets emmaillotеs en des bas blancs, et son v?tement de reprеsentation ? boutons d'or et ? revers еcarlates.
Les salons de rеception еtaient au premier еtage, prеcеdеs d'une antichambre tendue de tapisseries et enfermеe par des porti?res. Deux valets sommeillaient sur des si?ges. Un d'eux prit le pardessus de Duroy, et l'autre s'empara de sa canne, ouvrit une porte, devan?a de quelques pas le visiteur, puis, s'effa?ant, le laissa passer, en criant son nom dans un appartement vide.
Le jeune homme, embarrassе, regardait de tous les c?tеs, quand il aper?ut dans une glace des gens assis et qui semblaient fort loin. Il se trompa d'abord de direction, le miroir ayant еgarе son Cil, puis il traversa encore deux salons vides pour arriver dans une sorte de petit boudoir tendu de soie bleue ? boutons d'or o? quatre dames causaient ? mi-voix autour d'une table ronde qui portait des tasses de thе.
Malgrе l'assurance qu'il avait gagnеe dans son existence parisienne et surtout dans son mеtier de reporter qui le mettait incessamment en contact avec des personnages marquants, Duroy se sentait un peu intimidе par la mise en sc?ne de l'entrеe et par la traversеe des salons dеserts.
Il balbutia:
– «Madame, je me suis permis…» en cherchant de l'Cil la ma?tresse de la maison.
Elle lui tendit la main, qu'il prit en s'inclinant, et lui ayant dit:
– Vous ?tes fort aimable, monsieur, de venir me voir.
Elle lui montra un si?ge o?, voulant s'asseoir, il se laissa tomber, l'ayant cru beaucoup plus haut.